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Nous nous posons tous des questions métaphysiques : avons-nous ou non une âme immortelle, qu'y a-t-il après la mort ? Le libre arbitre existe-t-il ? Le monde est-il fini ou infini ? Dieu existe-t-il ? Et nous pensons qu'il est en notre pouvoir de répondre à ces questions.

La thèse de Kant est que la raison se pose des questions insolubles quand elle outrepasse le domaine de l'expérience.

Et pourtant, la nature même de cette faculté qui est en nous et que nous appelons la raison nous impose ces questions.

En d'autres termes, nous ne pouvons pas ne pas nous les poser. Mais ces questions dépassent le pouvoir de la raison. La raison ne peut pas, selon Kant, répondre à ces questions.

Pourquoi ? Une partie de l'entreprise de Kant est de mettre fin aux querelles interminables de la métaphysique en établissant des limites entre la faculté de comprendre, l'entendement (Verstand) et la faculté a priori (qui ne vient pas de l'expérience) de raisonner, la raison (Vernunft). L'entendement pense à partir d'un donné empirique, c'est-à-dire de l'expérience sensible, ce que Kant appelle les phénomènes.

Dans la Critique de la raison pure, Kant définit l'entendement comme la faculté de créer des concepts. C'est donc une faculté active. L'entendement va permettre la synthèse du divers, c’est-à-dire l'unification des données de l'intuition sensible en les ordonnant au travers des catégories. 

La Raison désigne, chez Kant, tout ce qui, dans la pensée, est a priori et ne vient pas de l'expérience. – Elle est théorique (raison pure) ou spéculative lorsqu'elle concerne la connaissance.

La Critique de la raison pure a pour tâche d'assigner des limites à l'usage des concepts de l'entendement, d'en limiter le domaine de connaissance aux seuls phénomènes.

"La raison part de principes dont elle ne peut éviter l'usage dans le cours de l'expérience, lequel usage se trouve en même temps suffisamment garanti par cette même expérience", par exemple le principe de causalité : tout effet correspond à une cause. Mais la raison s'élève toujours plus haut, en d'autres termes, elle quitte le domaine de l'expérience et cherche à appliquer ce même principe de causalité, application légitime uniquement dans le cadre de l'expérience, à des réalités dont elle ne peut pas faire l'expérience que Kant appelle les noumènes. C'est ainsi que la raison imagine l'idée d'une "cause première" qu'elle appelle "Dieu".

Dans la préface à la Critique de la Raison pure, Kant se demande pourquoi la science réussit à établir des lois (par exemple la loi de la gravitation universelle de Newton) qui sont admise par tout le monde, du moins par la communauté des savants qui les comprennent et pourquoi la métaphysique n'a jamais réussi à faire le moindre progrès, pourquoi elle un "champ de bataille où se développent des conflits sans fin".

Pour qu'il y ait connaissance, dit Kant, il faut d'une part des concept, d'autre part des phénomènes, des données sensibles (data). "Des intuitions (perceptions sensibles) sans concepts sont vides, des concepts (pensées) sans intuition sont aveugles", dit Kant. 

Or nous ne pouvons pas avoir une intuition (perception sensible) de réalités telles que le monde (l'univers, la totalité de ce qui est), Dieu, la liberté, l'âme, etc. 

Dans "la dialectique transcendantale", Kant élabore une théorie des erreurs et des illusions de la raison en tant qu'elle sort des limites de l'expérience.

Selon Georges Pascal, la dialectique transcendantale tente de distinguer entre les noumènes et les phénomènes, et en opérant cette division, elle guérit le mal qui ronge la raison en même temps qu'elle le découvre. En effet, distinguer entre nouménal et phénoménal empêche, dans une certaine mesure, de faire un exercice illégitime de la raison. Cependant ces illusions, parce qu'elles sont liées à la nature même de la raison humaine, reviennent constamment et sont impossibles à dissiper.

Les antinomies se produisent lorsque la raison tombe dans des conflits insolubles et ne parvient pas à se déterminer en faveur d'une des deux thèses possibles opposées ou contradictoires particulières.

Prenons l'exemple de la quatrième antinomie qui se rapporte à l'existence de Dieu.

Thèse : Un être nécessaire, de manière inconditionnée, fait partie du monde, que ce soit comme sa partie ou comme sa cause.

Antithèse : Il n'existe nulle part un être nécessaire, de manière inconditionnée, que ce soit dans le monde ou en dehors du monde ou conçu comme sa cause.

Kant explique que la thèse et l’antithèse de ces deux antinomies sont contraires. En effet, il est possible, selon Kant, d’affirmer tout à la fois la thèse et l’antithèse. Seulement il faudra se placer dans une perspective différente. La thèse sera vraie d’un point de vue nouménal, c’est-à-dire, si on considère les choses en elles-mêmes, en faisant abstraction des formes a priori de la sensibilité.

En ce cas, le concept d’un être dont l'existence est absolument nécessaire (Dieu) sera donc un concept auquel on ne peut attribuer aucune réalité empirique (Kant parle d’Idées transcendantales pour désigner ce type de "concept" précis). On n’observe pas Dieu comme on observe un phénomène empirique. Il est évident que de tels concepts seront sans utilité pour la seule connaissance scientifique. L’antithèse, par contre, sera vraie d’un point de vue phénoménal, c’est-à-dire si l'on considère les objets tels qu’ils nous sont donnés dans l’expérience. 

On n’observe pas le monde, Dieu, l'âme ou la liberté comme on observe un phénomène empirique. Il est évident que de tels concepts seront sans utilité pour la seule connaissance scientifique.

Par contre, l'antithèse : Il n'existe nulle part un être nécessaire, de manière inconditionnée, que ce soit dans le monde ou en dehors du monde ou conçu comme sa cause, sera vraie d’un point de vue phénoménal, c’est-à-dire si l'on considère les objets tels qu’ils nous sont donnés dans l’expérience, dans le cadre des sciences physiques.

L'entreprise de la raison ne peut que rester inachevée car, pour reprendre l'exemple de l'existence de Dieu, on ne peut attribuer aucune réalité empirique à une telle réalité.

Or, dit Kant les principes de la raison pure sont apparemment si dignes de confiance que même le sens commun se trouve en accord avec eux. En d'autres termes, le sens commun, le bon sens dont on sait qu'il est la chose du monde la mieux partagée (Descartes) ne peut qu'être d'accord avec chacune de ces deux propositions contraires : 

Thèse : Un être nécessaire, de manière inconditionnée, fait partie du monde, que ce soit comme sa partie ou comme sa cause.

Antithèse : Il n'existe nulle part un être nécessaire, de manière inconditionnée, que ce soit dans le monde ou en dehors du monde ou conçu comme sa cause.

Ces deux propositions ne peuvent pas être vraies en même temps et sous le même rapport. Le "bon sens", le sens commun ne nous aident pas à y voir plus clair, mais au contraire nous enfonce dans l'obscurité et dans la contradiction.

La raison en conclut qu'elle a dû s'appuyer sur des erreurs cachées, mais ne peut pas découvrir ces erreurs parce que tout en raisonnant de façon tout à fait logique, elle outrepasse les limites de l'expérience, elle s'éloigne du monde sensible, empirique.

Il faut admettre que notre capacité de connaître a des limites. La raison fait un usage illégitime des catégories de l'entendement comme la causalité quand elle vise l'inconditionné., la cause des causes, la cause première. Les noumènes (Dieu, la liberté, l'âme, le monde) sont du domaine de la foi et non du savoir : "j'ai borné le savoir pour faire une place à la foi", dit Kant. On peut croire en Dieu, mais on ne peut pas prouver son existence.

Comme le dit Bertrand Vergely (De l'utilité de la philosophie, p. 111-112), "La philosophie a commencé avec la quête d'une sagesse, c'est-à-dire d'une attitude à avoir dans la vie. Tous les philosophes n'ont cependant pas été des maîtres de sagesse. Aspirés par la tentation du savoir, ils ont parfois oublié la sagesse au profit de la science. Aussi Kant a-t-il pris le soin de rappeler que les questions métaphysiques que l'homme se pose n'ont de solution que pratique. S'il est contradictoire de vouloir prouver Dieu ou l'immortalité de l'âme par la raison, il est en revanche nécessaire de les postuler pour guider la vie pratique. Et ce, parce qu'il nous est indispensable de supposer une perfection afin de nous parfaire nous-mêmes."

 

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