Elle n’a duré que 4 mois (du 22 février au 26 juin 1848), cette seconde République issue de la Révolution de février mais elle a
durablement influencé le paysage politique français en abolissant l’esclavage, en instaurant le droit au travail, le suffrage universel, en adoptant le drapeau bleu blanc rouge et en mettant
définitivement fin à la monarchie en France.
La Révolution de 48 s’est produite dans un contexte très différent de celui de sa sœur aînée, la « Grande Révolution » de 89:
celui d’une société en pleine mutation avec la naissance de la « classe ouvrière » et le début de la révolution industrielle. 1848, c’est l’éclosion de la « rose plébéienne". Une
nouvelle classe sociale fait son entrée sur la scène de l’Histoire: le prolétariat.
Les philosophes et les écrivains des Lumières (Voltaire, Rousseau, les Encyclopédistes…) avait préparé la Révolution de 89, mais n’y avaient pas participé. Avec la Révolution de 48, on assiste à
un phénomène nouveau: l’engagement direct des intellectuels dans l’histoire: Lamartine, Victor Hugo, Lamennais, Tocqueville, Baudelaire, George Sand, Leconte de Lisle, Renan, Louis Ménard… y
participent, chacun à sa manière: mystique, objective, passionnée, brouillonne ou distante. En quête d’un peuple idéalisé et insaisissable, tous courtisent, sans prendre garde à ses épines,
la « rose plébéienne ».
Les acteurs de cette grande pièce historique qui se terminera en tragédie avec le répression sanglante du général Cavaignac au mois de juin, c‘est d‘abord le grand laissé pour compte de la
révolution industrielle, le Peuple. Le Peuple qui réclame le droit au travail, celui de participer pleinement à la vie politique de la nation et de profiter des richesses qu’il a contribué à
produire…
Ce sont aussi les nombreux partisans de Louis Napoléon Bonaparte (le futur Napoléon III), l’héritier clandestin de « l’usurpateur », un homme bien plus intelligent qu’on ne le dit
souvent, dont les agents omniprésents préparent en sous-main la prise de pouvoir…
Ce sont enfin les intellectuels qui investissent largement, et pour la première fois, la scène politique: Lamartine, tout d’abord, officiellement
Ministre des Affaires étrangères est à la tête du gouvernement provisoire. Il croit aux idées et à la force du discours pour concilier les points de vue divergents. Son maître mot est le mot
« harmonie » (le titre d’une de ses œuvres poétiques). Cet homme idéaliste et intègre s’est mépris sur les intentions populaires. Débordé sur sa gauche, par des gens comme Blanqui ou
Ledru-Rollin, il obtiendra le maintien du drapeau bleu blanc rouge par la vertu de son célèbre discours devant l’Hôtel de Ville de Paris, mais sera bientôt relégué au rang de rêveur et
perdra les élections présidentielles. Louis-Napoléon Bonaparte sera élu avec 74,2% des voix.
Partisan de l’ordre et de la propriété, propagateur de la légende napoléonienne, Victor Hugo est un légitimiste partisan de la régence de la duchesse d’Orléans. Il dénonce la
« République des bras croisés » (allusion des ateliers nationaux qu’il réprouvait), voit sa maison de la place des Vosges envahie et saccagée par le peuple et court derrière un train
qui est parti sans lui. Ce n’est qu’en 1851, après le coup d’Etat de Louis- Napoléon Bonaparte, qu’il deviendra la grande figure républicaine que l’on connaît.
Michelet, effrayé, se garde bien de participer et continue d’écrire son histoire de la Révolution de 89, tandis que celle de 48 se déroule sous ses fenêtres. Il n’est pas loin de penser, comme
Gustave Flaubert, que la Révolution de 48 n’est qu’ « une imitation de celle de 89, jouée par de mauvais acteurs ».
Charles Baudelaire profite quant à lui des événements pour régler ses problèmes personnels avec son beau-père et monte sur les barricades en criant: « Il faut tuer le général
Aupic! »
Le témoignage le plus « distancié » et le plus critique est celui de Gustave Flaubert, dans l’Education sentimentale. A
travers les descriptions sarcastiques des journées d’émeute et des soirées dans les clubs, se fait jour une vision désabusée d’une Histoire shakespearienne, « pleine de bruit et de
fureur » et qui ne signifie rien.
Selon, Michel Jacquet, George Sand préfigure la « gauche caviar » et incarne le côté loufoque, versatile et velléitaire de cette révolution avortée. Après avoir versé dans
l’extrêmisme et critiqué méchamment Lamartine qu’elle avait d’abord soutenu, elle s’éloigne de Paris et adopte une vision hautaine des événements après avoir jeté de l’huile sur le feu. Elle sera
effondrée quand elle verra le peuple de province aider le général Cavaignac à étouffer celui de Paris lors de la répression du 26 juin (1 000 morts dans la troupe, de 5 000 à 15
000 insurgés tués ou déportés). Piqué au vif par la verve iconoclaste et volontiers provocatrice du conférencier, Georges Buisson, se fondant sur une lecture approfondie des Bulletins de la
République auxquels collabora George Sand, défendra avec une belle vigueur, au cours du débat qui suivra, la mémoire intellectuelle et politique de « la bonne dame de
Nohan ».
Contrairement à la Révolution de 89, foncièrement anti-religieuse, celle de 48 se réfère constamment au christianisme et à sa mystique. Des prêtres comme Lamennais s’engagent dans le combat social en se réclamant du « prolétaire de Nazareth ». Certains y perdirent la vie en tentant de s’interposer entre la troupe et les émeutiers.
C’est peut-être Alexis de Tocqueville, dans ses Souvenirs, qui nous fournit sur cette période le témoignage le plus intéressant et le
plus objectif: Aristocrate de naissance, Tocqueville appréhende le pouvoir de la rue, mais pense que la démocratie est inévitable et se prononce en faveur d’un système
parlementaire.
Après l’exposé de Michel Jacquet, Albert Poignard créa une émotion perceptible en illustrant les sentiments du peuple de Paris et des
campagnes avec Le Chant des Paysans de Pierre Dupont et Les Morts de Juin de Charles Gilles, chansonnier des guinguettes ouvrières mort dans la misère.
Michel Jacquet fait partie de ces historiens qui savent raconter l’Histoire et la rendre vivante. Ressuscitant avec brio cette période foisonnante, il a réussi à plonger pendant près d’une heure
et demi un public complètement captivé dans la passionnante effervescence des événements et des acteurs.
Le thème de cette conférence est celui d’un ouvrage de Michel Jacquet : La Rose plébéienne -1848: les écrivains dans la Révolution (Editions La Bruyère)
Docteur ès Lettres, Michel Jacquet est enseignant à Bourges. Il est également l’auteur d’ Une Occupation très
romanesque, paru également aux Editions La Bruyère.