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Emil Cioran : De l'inconvénient d'être né

Une bibliothèque personnelle ressemble à une armoire à pharmacie. On y trouve des médicaments (presque) inoffensifs et d'autres moins. Tout est question de dosage. L'œuvre d'Emil Cioran, c'est entendu, n'est pas "inoffensive" et il se pourrait même qu'elle fût un "poison", comme l'arsenic ou la digitaline. Poison, en grec, se dit "pharmacos" et signifie aussi remède.

Le problème philosophique fondamental, disait Albert Camus, c'est le suicide : "To be or not to be ?" 

On a accusé Cioran d'en faire l'apologie ; Il s'est expliqué là-dessus : l'idée que l'on pourrait en finir et qu'en tout état de cause, cela finira est un remède contre le malheur et peut, paradoxalement; nous éviter de passer à l'acte.

A quoi bon se donner la mort, puisque, de toutes façons, le mal est fait : "Le vrai fléau n'est pas devant nous mais derrière. Nous avons tout perdu en naissant."

Cioran affirme qu'il existe une supériorité de la vie face à la mort : celle de l'incertitude. La vie, la grande inconnue, n'est fondée sur rien de compréhensible, et ne donne pas l'ombre d'un argument. Au contraire, la mort, elle, est claire et certaine. Seul le mystère de la vie est une raison de vivre.

"Le fait de vivre est une chose extraordinaire quand on a vu les choses comme elles sont... Cette vie, totalement dépréciée sur le plan théorique, paraît extraordinaire sur le plan pratique. Vivre contre l'évidence. Chaque moment devient une sorte d'héroïsme."

Cioran a survécu à la tentation de se donner la mort, pour le plus grand bonheur d'une poignée de lecteurs qui se reconnaissent et pour lesquels son nom est un mot de passe.

Citations :

"Aucune volupté ne surpasse celle qu'on éprouve à l'idée qu'on aurait pu se maintenir dans un état de pure possibilité. Liberté, bonheur, espace - ces termes définissent la condition antérieure à la malchance de naître. La mort est un fléau quelconque ; le vrai fléau n'est pas devant nous, mais derrière. Nous avons tout perdu en naissant.

Mieux encore que dans le malaise et l'accablement, c'est dans des instants d'une insoutenable plénitude que nous comprenons la catastrophe de la naissance. Nos pensées se reportent alors vers ce monde où rien ne daignait s'actualiser, affecter une forme, choir dans un nom, et où, toute détermination abolie, il était aisé d'accéder à une extase anonyme.

Nous retrouvons cette expérience extatique lorsque, à la faveur de quelque état extrême, nous liquidons notre identité et brisons nos limites. Du coup, le temps qui nous précède, le temps d'avant le temps, nous appartient en propre, et nous rejoignons, non pas notre figure, qui n'est rien, mais cette virtualité bienheureuse où nous résistions à l'infâme tentation de nous incarner."

L'auteur :

Né le 8 avril 1911 à Rășinari en Roumanie, mort le 20 juin 1995 à Paris, Emil Cioran est un philosophe et écrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française à partir de 1949 (Précis de décomposition). Il est interdit de séjour dans son pays d'origine à partir de 1946, pendant le régime communiste. Bien qu'ayant vécu la majeure partie de sa vie en France, il n'a jamais demandé la nationalité française. 

 

 

 

 

 

 

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